Le 68 des enfants : une révolution dans les albums ?
A l'occasion des 50 ans de mai '68, j'ai eu l'occasion de voir l'exposition "Le 68 des enfants: l'album jeunesse fait sa révolution" à la médiathèque Françoise Sagan. Les albums, manuscrits, objets et affiches exposés font partie du fonds patrimonial Heure Joyeuse, constitué en partie des archives de l'éditeur engagé François Ruy Vidal.
L'expo donne à voir la naissance d'une génération d'auteurs et illustrateurs comme Nicole Claveloux, Étienne Delessert, Henri Galeron, Claude Lapointe ou encore Agnès Rosenstiehl.
A travers leurs créations, nous assistons au renouvellement de l'album à cette époque: le trait se libère et le graphisme innove, il suffit de penser à Les aventures d'une petite bulle rouge, publié encore aujourd'hui depuis 1968.
Mais ce sont surtout les thématiques qui renouvellent les albums : le pacifisme, la contestation, le psychédélisme, le féminisme, l'antiracisme, la politique remettent en question la société, la secouent et envahissent la littérature jeunesse d'une façon inédite.
Feuilleter ces albums aujourd'hui est encore surprenant : tout ce qui a été remis en cause à cette époque-là n'a pas fini d'être acquis !
Voici donc quelques perles rares, désormais épuisées et introuvables : Ah! Ernesto!, véritable éloge de la contestation, écrit par Marguerite Duras et illustré par Bernard Bonhomme. C'est l'histoire d'un garçon qui refuse d'aller à l'école, car on lui "apprend ce que je ne sais pas".
Le refus se retrouve aussi chez Pierre l'Ebouriffé illustré par Claude Lapointe, une version hippie du Pierre d'Heinrich Hoffman.
Pour ce qui concerne la question féministe et le genre, il faut citer Rose Bonbonne d'Adela Turin, histoire d'une petite éléphante rose qui revendique la liberté de choisir ses activités, ainsi que Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon de Christian Bruel, illustré par Anne Bozellec (édité aujourd'hui chez Thierry Magnier).
Ruy Vidal partage avec l'éditeur new-yorkais Harlin Quist le même refus des oeuvres adaptés pour les enfants : leur rencontre donne vie à la publication, aux éditions Harlin Quist, d'une série de livres choc qui abordent des questions contemporaines.
Emblématique à ce propos, Les télémorphoses d'Alala, une sorte d'Alice illustrée par Nicole Claveloux avec des images surréelles, un peu érotiques, inspirées du film animé Yellow Submarine des Beatles. Alala est la fille d'un prince noir et d'une belle blonde normande, elle rentre dans les émissions télé et les subvertit telle une petite héroïne contestataire qui passe à l'action en réalisant l'émancipation enfantine.
Pour terminer, cela vaut le coup de signaler que plusieurs albums de cette époque sont aujourd'hui réédités : à l'occasion du centenaire de Duras en 2014, Ah! Ernesto! a revu le jour, illustré par Katy Couprie chez Thierry Magnier. Les éditions La ville Brûle rééditent aussi, à la rentrée 2018, De la coiffure, Les filles et La naissance d'Agnès Rosensthiehl.